L’entrée dans la civilisation de la connaissance et dans l’ère des métiers de haute technicité contraignent les entreprises à se protéger contre la fuite de leurs compétences et de leur savoir-faire. Cette contrainte est d’autant plus forte que les obligations de formation des salariés pesant sur les entreprises se sont renforcées. La protection consiste à limiter les droits tirés de la liberté du commerce et de l’industrie et de la liberté du travail. Si la classique clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail permet en partie de limiter ce risque de pertes, en maîtrisant le risque d’embauche d’un salarié par un concurrent, elle ne suffit pas à protéger la fuite de ces compétences vers les clients de l’entreprise. Considérant la technicité du métier, la difficulté ou le coût de procéder à un recrutement, certains clients pourraient être tentés d’approcher le personnel de leur fournisseur en vue de les embaucher. Afin d’éviter cette fuite des talents, il est courant de compléter les stipulations contractuelles par une clause de non-sollicitation de personnel.
Son objectif est simple : dissuader un client d’embaucher un collaborateur, affecté par un prestataire, à l’exécution d’un contrat qui le lie à son client. De fait, cette clause est devenue une clause de style présente dans la majorité des contrats de services impliquant du personnel qualifié (contrats informatique, contrats de prestations intellectuelles). Dès lors, comment fonctionne cette clause, quels sont ces impacts pour les entreprises qui les signent et quelles peuvent être les implications pour les collaborateurs concernés ? La Loi des Parties répond à ces questions.
Comment fonctionne la clause de non-sollicitation de personnel ?
La clause de non-sollicitation de personnel se trouve dans les contrats de prestations de services conclus entre un prestataire et un client. Elle ne s’applique pas directement au salarié chargé de prester pour le client, en vertu du principe de l’effet relatif des contrats. En ce qu’il ne l’a pas signée, le salarié n’est pas tenu par cette clause. Elle ne lui est pas opposable. Il ne peut lui être reproché de ne pas la respecter en répondant positivement à des sollicitations du client chez qui il opère. La clause de non-sollicitation de personnel ne s’applique donc qu’entre les deux entités ou organisations qui l’ont conclu.
Elle répond à un objectif de protection, qui consiste à éviter, lors de l’exécution d’une prestation, que l’une des parties ne tente de débaucher le personnel de l’autre partie afin d’y recourir directement sans ne plus avoir à faire appel à l’autre partie. Cette dernière, privée par son client, de sa main d’œuvre qualifiée peut ainsi subir tout à la fois :
- une perte de compétence et de savoir-faire dont le salarié débauché disposait ; elle peut avoir pour effet immédiat de perturber la bonne exécution de la prestation en cours, mais aussi de priver le fournisseur de nouvelles prestations à venir de la part du client qui auraient pu être confiées sur la base des qualifications du salarié débauché ;
- une perte du ou des marchés que l’entreprise, sauf à recruter à nouveau, n’est plus à même d’honorer du fait de la perte de cette compétence (ce qui peut en fonction des compétences considérées s’avérer difficile sur un marché de l’emploi tendu, coûteux, plus risqué ou plus contraignant).
Il s’agit donc d’une clause protectrice de la pérennité de l’activité économique de l’entreprise à l’instar de la clause de non-concurrence. La clause de non-sollicitation de personnel est généralement enfermée dans une durée ferme qui court au-delà du terme du contrat ou de la prestation. Elle survit donc au contrat pour des durées qui peuvent osciller entre six mois et un an, car c’est dans cette période post-exécution que se niche le risque le plus important de sollicitation.
Que se passe-t-il en cas de violation d’une clause de non-sollicitation de personnel ?
La clause de non-sollicitation de personnel est généralement assortie d’une pénalité. Son rôle est de lui conférer plus d’efficacité en augmentant l’effet dissuasif. En cas de violation de la clause de non-sollicitation de personnel, la partie fautive pourra se voir réclamer le montant de la pénalité. Dans la majorité des cas, le montant de la pénalité est fonction du salaire du collaborateur qui a fait l’objet de la violation de la clause. Il est classiquement fixé à un montant compris entre trois et six mois du salaire brut de cette personne. Il fait assez peu l’objet de débats. En effet, les acteurs (clients et prestataires) considèrent que ce délai constitue un délai moyen pour retrouver une personne disposant de compétences similaires.
Apparemment d’usage, ce mode de calcul a l’avantage de la simplicité mais en cas d’application, il s’accommode en réalité assez mal des faits que :
- les données salariales du collaborateur sont des données particulières qui ont vocation à être utilisées avec une certaine délicatesse et sont de nature à être protégées par la confidentialité qui le lie à son employeur ; à cet égard ledit collaborateur pourrait reprocher à son employeur la rupture de confidentialité née de la révélation à un tiers de sa rémunération; s’il veut éviter cette violation, le prestataire employeur n’aura pas d’autre choix que de demander levée de la confidentialité auprès de son salarié…
- les données salariales peuvent ne pas être réellement corrélées, dans une équipe donnée, avec la technicité des compétences essentielles pour la réalisation des prestations de services ou pour l’activité de l’entreprise.
Ces deux points sont, sans doute, les premiers éléments d’explication au fait que les parties souhaitent bien souvent en cas de violation, non pas appliquer la sanction mais entrer dans une négociation pour tenter de déterminer une autre contrepartie plus positive. Cette contrepartie consiste parfois en l’attribution de prestations nouvelles ou en un renouvellement de contrat.
Dès lors, on pourrait imaginer que le manquement à une clause de non-sollicitation de personnel, puisse être sanctionné par une indemnité à géométrie variable. Elle tiendrait compte de la spécificité des compétences du personnel utilisé pour la prestation et serait calculée sur la base du prix facturable de la prestation initiale. Cette approche permettrait une meilleure prise en compte du manque à gagner qui a été causé par la violation de la clause de non-sollicitation de personnel. La clause de non-sollicitation serait ainsi dotée d’un véritable caractère indemnitaire réparant de manière forfaitaire et sécurisée le préjudice. Seul le juge serait alors autorisé à en corriger ainsi le caractère excessif et dérisoire.
Non-sollicitation de personnel et non-concurrence, deux clauses entre même régime et faux semblants !
Poursuivant un objectif similaire (la pérennité de l’activité économique de l’entreprise), la clause de non-concurrence et la clause de non sollicitation répondent à deux mécaniques et deux débiteurs pourtant bien différents.
Comme précédemment exposé, la clause de non-concurrence est conclue entre le salarié, qui y consent expressément et l’employeur dont il s’agit de protéger l’activité. Le salarié en tant que débiteur de cette obligation doit la respecter. Son principe repose sur l’interdiction qui lui est faite sur un territoire et pour une durée déterminés de se faire embaucher par un concurrent de son employeur. Restrictive de la liberté du travailleur, elle n’est valable que si elle est indispensable à la protection de l’entreprise au regard du travail accompli et si elle fait l’objet d’une contrepartie financière, ladite contrepartie constituant une condition de sa validité.
A l’inverse, le salarié n’est pas partie au contrat qui prévoit la clause de non-sollicitation de personnel. Il n’a pas souscrit à cette obligation. Elle est directement conclue entre son employeur et le client de ce dernier. Le collaborateur n’en est pas débiteur puisque il n’y consent pas. En dépit de cette clause, il reste donc parfaitement libre de postuler auprès de l’entreprise cliente.
Pourtant, si le collaborateur se voit empêcher d’entrer au service d’un client de son employeur parce que ledit client y renonce par le jeu dissuasif d’une clause de non-sollicitation de personnel il s’agit, pour ainsi dire, d’une application par ricochet de cette clause qui constitue une atteinte à la liberté de travailler. Cette atteinte doit être indemnisée par l’employeur à hauteur du préjudice causé. La chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 2 mars 2011, rappelle que la liberté du travail est au-dessus de la loi des parties surtout quand elles aliènent la liberté d’autrui. Elle décide qu’un salarié qui ne peut pas être embauché par une entreprise aux motifs que cette dernière a souscrit avec son ancien employeur une clause de non-sollicitation de personnel est fondé à réclamer à cet ancien employeur des dommages et intérêt, dans la mesure où cette clause lui cause un préjudice constitué la restriction de sa liberté de travailler. En d’autres termes, s’agissant d’une clause portant atteinte à la liberté du travail, la Cour a choisi d’appliquer le même régime que celui retenu pour les clauses de non-concurrence. Le collaborateur doit pour cela établir que le recrutement dans une entreprise cliente de son ancien employeur, a été empêché par la clause de non-sollicitation qui lie les deux entreprises. Cette démonstration peut être réalisée par tout moyen de preuve de l’existence de la clause de non-sollicitation de personnel, et de ses conséquences sur le recrutement potentiel (exemple : courriel reçu par le collaborateur expliquant l’impossibilité d’intégrer l’entreprise avant une échéance calée sur le terme de la clause de non sollicitation).
En vertu de ces principes, tout collaborateur empêché d’entrer au service d’un cocontractant par l’application d’une clause de non-sollicitation et qui peut justifier d’un préjudice est susceptible d’en réclamer réparation. Face à cette situation, il est donc conseillé aux entreprises de recentrer la clause sur les personnes clés et d’aménager les effets de la non-sollicitation (possibilité de la levée, durée moins longue, indemnité de moindre valeur) vis-à-vis des personnes moins stratégiques pour le projet.
Pour l’entreprise cliente qui déciderait de de passer outre l’interdiction contractuelle d’embaucher, elle devra s’acquitter de l’indemnité stipulée et/ou courir le risque d’un procès. Un pari à l’embauche qui peut donc coûter cher !
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