Notation des avocats : et bien, dérobez-les maintenant !

Voilà qui est fait. Sans grande surprise, la Cour de cassation a autorisé la comparaison et la notation d’avocats par des sites internet n’émanant pas de la profession, pourvu que ces sites délivrent au consommateur une information loyale, claire et transparente (Cour de cassation, 1ère ch. civile, n°16-13669 11 mai 2017). La Cour valide donc cette tendance à la note venue des Etats Unis et qui s’applique aux médecins comme aux avocats (cf. F. Chhum, Notation et comparaison des avocats par des sites internet : un nouveau business pour les legal start up autorisé par la Cour de cassation, Village de la Justice, mai 2017). Les avocats, comme les livres, les hôtels ou les restaurants pourront désormais être notés par leurs clients via des plateformes, contribuant à un mouvement de désintermédiation en apparence optimisée, par le jeu de la qualité estimée.

Les avocats seront donc eux aussi contraints de passer par les fourches caudines des avis de leurs clients. Ces clients, leurs clients, viendront se faire juges à leur tour, du traitement de leur dossier. Ils cliqueront sur un pouce levé ou attribueront à leur avocat, un nombre d’étoiles dorées, manifestant leur degré de satisfaction. Il sera fonction de leur expérience ressentie à l’occasion de la prestation exécutée et de son résultat : la course aux étoiles est ouverte…chacun sa chance et que le meilleur gagne !!! D’un simple clic, se faire juge de son avocat, de son homme de loi, dans un élan de Saturnales !! Oui, décidément la technologie rend tout possible !!

Cependant la transformation digitale ne justifie pas tout. Afin d’éviter que le simple clic ne se transforme en bonne claque, il faut au-delà des débats passionnés, bien comprendre le chemin sur lequel nous nous engageons. Fidèle à la démarche qui est celle de La Loi des Parties, il s’agit, sans autre polémique que celle nécessaire à la réflexion, de prendre cette manifestation comme un fait, sans s’extasier avec avide béatitude sur ses opportunités, ni non plus se draper dans une attitude « longue conservation » recroquevillée sur une rengaine « c’était mieux avant ».

Avocats : vers la quête du « like » et la chasse aux étoiles ?

Le phénomène est identifié et connu. Le rapport sur l’avenir de la profession d’avocat en dresse le constat de manière non équivoque : « le phénomène de notation des produits, des services et des organisations sera simplifié, généralisé et crédibilisé. Il deviendra un élément déterminant dans la perception de l’attractivité, par les autres consommateurs, des services proposés. Tout sera noté : l’hôtel, le restaurant, l’école, le médecin… l’avocat » (K. Haeri, L’avenir de la profession d’avocat, rapport février. 2017, p. 17). La notation semble donc s’imposer aux avocats comme un phénomène durable dans le mode de consommation des services du droit. Cependant, faut-il s’en satisfaire ou s’en réjouir au nom d’une modernité de consensus ? Le constat ne suffit pas à embrasser pleinement la signification du phénomène pour l’avocat comme pour l’utilisateur, ni à en appréhender les conséquences pour les parties prenantes, qu’elles soient professionnelles, clientes ou de simples prospects.

Même si la faculté de noter est limitée aux contacts entretenus avec les avocats référencés de la plateforme ou bien à leurs réels clients, il faut s’interroger sur les motivations qui vont conduire à l’émission d’un avis ou d’une note. Elle passe par un procédé quasi mécanique très simple de « j’aime/j’aime pas » ou une note d’appréciation comprise entre une et cinq étoiles. Elle peut selon les cas, être assortie de commentaires de l’utilisateur. A n’en pas douter, ce procédé répond à une tentative de laisser la parole à l’utilisateur, de lui laisser la chance d’interagir avec ses avocats. Mais par ces moyens, il s’agit d’une expression réduite car l’utilisateur s’exprime, selon un mode individuel encadré, qui relève plus du stimulus que de l’avis construit. Il est le résultat d’une faculté technique simplifiée qui « police » le message en le réduisant à sa plus simple expression : pas un message, tout juste un signal.

Ce procédé est né avec les distributeurs de voyage et de livres. Ils ont eu le mérite de répliquer la signalétique des étoiles attribuées dans le monde physique ancien. L’objectif était simple : que le consommateur se fasse une idée de la gamme de service qu’il pourrait trouver dans un hôtel ou un restaurant, pour le guider dans son choix. Mais, il existe une différence de taille. Elle réside dans des critères prédéterminés, arrêtés en amont, qui permettent l’évaluation et l’attribution des étoiles par des professionnels reconnus et qui font autorité. Même si la référence aux tiers comparant et évaluant est explicite dans l’arrêt de la Cour de cassation, une différence majeure demeure : l’évaluation est faite par l’utilisateur amené à donner son avis, une fois son « achat vérifié », non pas comme un expert ou comme une autorité mais comme un consommateur lambda. Dès lors, la notation ou les étoiles valideraient non pas une compétence, mais une expérience positive ou négative. Elle se manifeste dans un stimulus de satisfaction ou d’insatisfaction qui peut être très éloigné de la compétence ou de la qualité du professionnel du droit jugé : sa gentillesse, la qualité de son accueil peuvent par exemple, entrer en ligne de compte pour valider une expérience positive ; en rien elles ne permettront d’apprécier le  juriste capable de renverser la table pour gagner un procès mal engagé.

Bien sûr, on pourrait se contenter de cet état de fait et prendre cette appréciation pour ce qu’elle reste. Mais, le problème est qu’il s’opère une forme de hiérarchisation entre les professionnels. Elle se détermine, au sein d’une neutralité et d’une horizontalité présumée des plateformes, en fonction du taux obtenu de pouces levés ou d’étoiles collectées, offrant un avantage décisif aux plus gratifiés et gradés de la communauté : pour sûr, les avis positifs sont la garantie d’un bon classement, synonyme de clics, de contacts et de taux de transformation. Le pouce et les étoiles grisés, signes qu’ils n’ont pas été activés par l’utilisateur se présentent aussi comme un renseignement et inscrivent le fait que l’expérience n’a pas été concluante, sans plus d’explication. Ainsi, le pouce tendu vers le ciel, il se garnit d’étoiles dans une symbolique céleste qui glorifie les élus et condamne les autres à l’oubli numérique… En attendant que se crée l’innovante legaltech qui lancera son algorithme distribuant de manière robotisée likes et étoiles destinées à redorer les avocats dérobés, ces derniers pourraient bien avoir à se transformer en chasseurs d’étoiles, bien loin de l’exercice de leur métier et peut-être des fondamentaux de leur profession mais aussi de nos attentes…

Avocats : le client pour juge ?

Enfin, le clic, ce geste simple qui valide la satisfaction et l’attribution étoilée n’est pas neutre. Il établit une nouvelle socialité qui modifie le rapport entre l’avocat et son client. Se penchant sur la plateforme Facebook, le philosophe Eric Sadin constate que son ressort fondamental repose sur un « dispositif technique hautement élaboré prioritairement destiné à flatter « l’individu-roi » contemporain ». Cet individu-roi choisit, autorise, refuse, répudie pour une « constitution de son entourage en fonction de son bon vouloir, d’après un ascendant s’affirmant sur un schéma binaire-autorisation / refus- qui ne trouve aucun équivalent formel dans d’autres cadres usuels de la socialité » (E. Sadin, La vie algorithmique, Editions l’échappée, 2015, p.150). Les étoiles que le client attribue ou le like qu’il choisit d’allouer à son conseil relève du même registre : dans une expression de toute puissance, le client par son geste unilatéral soumet ainsi, le professionnel à sa propre loi de client et signifie au public ce qu’il « pense » de lui et de ses prestations, criant à une sorte d’audience témoin sa satisfaction ou son insatisfaction. Oui, le client est roi et peut donc, en tant que tel, juger sur un mot d’ordre : « glorifions les stars, dérobons les tocards » ! Mais qui est-il pour ainsi séparer le bon grain de l’ivraie et s’approprier à bon compte l’évaluation de la compétence ??

La simplicité et le caractère apparemment anodin du geste semblent vider l’acte de toute gravité. Mais tant le caractère public que le caractère unilatéral et discrétionnaire de l’exercice doivent être appréhendés avec sérieux, à rebours de cette simplicité par trop expéditive. Les actions de « Liker » ou d’attribuer des étoiles se réalisent « sans discussion médiatisée par la parole ou l’échange de visu, sur un simple clic, sans rapport avec ce qui se joue ordinairement dans les relations physiques toujours soumises à des formes de souplesse et de négociation, à l’écart de toute structure unilatérale » (E. Sadin, La vie algorithmique, Editions l’Echappée, 2015, p.150).

Dès lors, cette réduction inévitable à un simple signal que réalise la notation, doit impérativement s’accompagner de mécanismes sociaux de modération et de pondération, voire de réponses. Il est déterminant de pouvoir restaurer une vérité établie par la perception faussée d’un mauvais résultat causé par un mauvais dossier et pas par un mauvais avocat. Ces mécanismes sont d’autant plus importants au regard de la dimension éminemment publique des étoiles ou des likes alloués sur la plateforme. Par ce jeu de collecte et de concentration, la plateforme devient en effet une sorte instance de jugement appelée au vu et su de tous, à signifier et à entériner auprès des tiers la satisfaction ou l’insatisfaction du client. Car la publicité est inhérente à son intention de partager et de diffuser. En affichant publiquement les notes attribuées, le client se présente comme rempli de satisfaction ou comme victime du mauvais conseil. Il appelle les autres membres de la communauté à leur tour à un témoignage ou à un jugement confirmatif pour apprécier ou déprécier plus avant la valeur de ce qu’il affiche : une sorte de plébiscite consumériste se fait ainsi jour, rendu au nom d’un intérêt supérieur. Le consommer mieux s’impose, nourri par le sentiment d’utilité sociale, d’influence, de notoriété, de sentiment de participation à une mission supérieure que l’utilisateur peut éprouver dans sa participation (v. Legaltech, legal disruption ou ère nouvelle du juriste, La Loi des Parties, novembre 2016)

Ainsi, on perçoit le potentiel dommage au praticien qu’est susceptible de créer un profil d’avocat sans étoile ou une unanimité de commentaires négatifs. De cette concordance on pourrait tirer une facile conclusion qu’« il n’y aurait pas de fumée sans feu » et qu’elle participe finalement de cette réputation nécessaire à attirer le chaland, comme le ferait l’enseigne la plus lumineuse d’une rue commerçante. Sauf que s’il est aisé de remplacer l’enseigne lumineuse pour un nouveau départ, les likes et les étoiles risquent de poursuivre le profil de l’avocat bien au-delà de l’instant de leur émission et coller à son profil comme une réputation « colle à la peau ». « Une évaluation ininterrompue risque fort d’accompagner notre évolution sur la Toile et avec elle un affinage constant, une perpétuelle mise à jour de notre profil » constate le philosophe Alain Finkielkraut (A. Finkielkraut, P. Soriano, Internet, l’inquiétant extase, Mille et une nuits Fayard, 2001, p.19). Sauf que s’agissant des plateformes de notation, l’avocat n’est plus maître de son profil, dont les « décorations » et les affublements sont le fait des clients et de leurs humeurs. Sur la plateforme, son profil lui échappe, au nom d’une nouvelle objectivité assise sur le nombre et la statistique des fameux utilisateurs. « Nous perdons l’administration de nous-mêmes » constate Pierre Bellanger (La Souveraineté numérique, Pierre Bellanger, Stock 2014, p.). Sur la plateforme de notation, l’avocat n’est plus un professionnel souverain, mais un praticien étoilé ou dégradé, un objet quantifié au gré des pouces levés, une variable socialement contrôlée qui peut donc être remis en cause par son profil. « La représentation de soi, le personnage que volontairement nous incarnons est remis en cause par le double numérique constitué de toutes les informations persistantes, erronées ou non, collectées sur notre personne, et de l’interprétation qui en est faite » (La Souveraineté numérique, Pierre Bellanger, Stock 2014, p.) :

Tombe le masque ou tombe la robe ?

 

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