La négociation entre dans le Code civil !

stephane larriere

Le projet d’ordonnance de réforme du droit des contrats propose de faire entrer la négociation dans le Code civil. Elle viendrait ainsi compléter les dispositions relatives au droit des obligations. Pour les praticiens du droit, cette entrée de la négociation au sein des dispositions du Code civil ne constitue pas, en soi, un bouleversement. En effet, la jurisprudence s’était déjà saisie des abus et avait déjà fixé quelques règles, en fonction des cas qui étaient parvenus jusqu’aux juges. Les rapports Catala et Terré, ainsi que les avant-projets de réforme du droit des contrats, privilégiaient déjà une reprise de ces solutions dégagées par la jurisprudence. L’objectif était clair : introduire plus de lisibilité dans les textes et ainsi sécuriser la pratique contractuelle.

Il ne s’agit donc pas en soi d’une nouveauté. Mais, cette insertion au sein du dispositif législatif constitue, tout de même, une consécration, par la loi, du processus de négociation. S’agissant d’une reprise de solutions déjà en vigueur, cette consécration ne devrait pas bouleverser la pratique des négociations. Et pourtant….

D’un point de vue du contenu, le projet de loi rappelle le principe général de liberté des négociations. Ces dernières se déroulent, sous réserve qu’elles respectent les « exigences de la bonne foi » (nouvel article 1111-1 du Code civil). Le projet de loi ajoute que « la conduite ou la rupture fautive de ces négociations oblige son auteur à réparation » (nouvel article 1111-2 du Code civil). La perte des bénéfices attendus du contrat non conclu ne sera néanmoins pas réparable. En pratique, on peut se satisfaire de cette prise en compte, tant les négociations contractuelles peuvent parfois se résumer à un exercice frustrant l’une des parties au bénéfice de l’autre par le jeu de l’imposition des conditions contractuelles. Mais pour le négociateur, un point mérite une attention particulière. La loi tirera, de la manière dont les négociations sont conduites, une qualification juridique différente du contrat qui en sera le résultat. Si les « stipulations sont librement négociées », le contrat sera qualifié de « contrat de gré à gré » ; à l’inverse, lorsque les stipulations contractuelles auront été « soustraites à la libre discussion, […] déterminées par l’une des parties, le contrat sera défini comme un « contrat d’adhésion ». Dans ce dernier cas, les clauses ambiguës seront « interprétées à l’encontre de la partie qui les a proposées », sans que les parties ne puissent aménager cette disposition.

De la négociation de position à l’appréhension de l’intérêt de l’autre partie

Ainsi, semblant consacrer la liberté de négociation la loi en modélise l’expression par le rapport de force, dans un souci de protection de la partie faible. Elle intègre pleinement la position (de force ou de faiblesse) des parties dans le jeu de la négociation contractuelle. Elle lui reconnaît une capacité d’influence sur l’échange des consentements et donc sur l’adoption de la loi qui va régir les rapports des parties. Que ces dernières (et notamment la plus faible d’entre elles) aient eu conscience de ce rapport de force avant l’entrée en négociations, mais que malgré tout elles aient décidé, en toute connaissance de cause, d’entamer ces discussions et de les poursuivre à leurs risques, semble de peu d’importance !! Il s’agit de rétablir a priori l’équilibre dans la discussion. Il s’agit de réguler la négociation, ou plutôt de conduire les individus à une autorégulation a priori de leur comportement, avec pour sanction la requalification du contrat et une inflexion de ses règles d’interprétation.

Le négociateur (et/ou le rédacteur de contrat) va donc devoir intégrer dans sa réflexion, la position de l’autre partie, appréhender les intérêts de cette dernière dans son comportement, voire les faire siens, pour rétablir l’équilibre de la discussion. La négociation contractuelle devrait se dérouler sous l’égide d’une sorte d’intérêt général. En application de cet intérêt général, les négociateurs ainsi dotés d’un rôle social de protection seront contraints de se policer pour en préserver la fonction…. telle une percée de la morale ou de l’éthique dans l’intérêt des parties que la loi instille avant toute naissance du contrat ?

L’impatience de conclure, la passion de contracter…. ou la négociation de raison : vers une négociation corsetée !

Pourtant, le doyen Carbonnier ne soulevait-il pas avec justesse, que dans les contrats du Code civil, « les parties ne sont pas obligées de tout dire : chacune a droit au quant-à-soi, à la réticence, voire au mensonge, pourvu qu’il ne soit pas matérialisé dans des manœuvres frauduleuses » (Droit et passion du droit sous la Vième République, p. 182). Il est vrai que la négociation est  le théâtre naturel de franches discussions mais aussi de faux-semblants. La raison et la passion se mêlent dans un mouvement dynamique d’échanges d’arguments émis et acceptés en fonction de pouvoirs, et dont les motivations répondent à des émotions et/ou des intérêts qui peuvent être déçus ou satisfaits. Elle est le théâtre d’un enjeu sur lequel planent des incertitudes et des aléas avec lesquels doivent jouer les acteurs : obtenir ce qu’ils visent, aboutir à un accord, sous-entendu, à un accord de l’autre partie… Ainsi, revenant sur son expérience, le personnage (authentique !) de F. Walder, Henri de Malassise, éminent négociateur du traité de paix de Saint Germain, n’affirme-t-il pas que : « la vérité n’est pas le contraire du mensonge, trahir n’est pas le contraire de servir, haïr n’est pas le contraire d’aimer, confiance n’est pas le contraire de méfiance, ni droiture de fausseté. » pour finalement conclure que : « là même où des conventions formelles ont été passées, où des conclusions définitives ont été atteintes, il reste que derrière ces conventions, ces conclusions, se trouvent des natures humaines, et que celles-ci n’ont pas des convictions si retranchées qu’on ne puisse les circonvenir » (F.Walder, Saint Germain ou la négociation, Folio p.58). L’Exercice est subtil et peut tout aussi bien relever de la séduction que de la démonstration raisonnée. Mais il contraint, le négociateur à être en intelligence avec son interlocuteur pour que s’opère la rencontre des volontés, dans un temps de conciliation et de concorde. La loi nouvelle, pousse à dépasser ce va-et-vient en bonne intelligence, pour une prise en compte l’intérêt suprême des parties au contrat.

La négociation devient alors créatrice de droits subjectifs pour les parties qui y participent. Chacune d’elle devient débitrice envers l’autre d’une obligation de se comporter loyalement, de bonne foi. Cette obligation, mise en résonance avec la faute qui peut en découler, aura pour effet de corseter la relation et de tendre les négociations vers un autre objet que la seule conclusion d’un accord. Elle engendre, durant les échanges, la conscience, que le fait peut se faire droit par le simple jeu de la loi ou de la revendication, par la partie adverse, d’un comportement fautif.

La négociation finira-t-elle par devenir un processus d’échanges écrits ?

Les parties tenteront donc de se réserver les moyens de preuves et d’aménager leurs échanges pour se prémunir contre toute qualification de faute (intentionnelle, d’omission, de négligence ou d’imprudence….). La formalisation des échanges, à titre conservatoire, s’imposera pour démontrer la discussion de bonne foi ou établir la preuve de l’absence de faute ; la relation va se faire plus sourcilleuse, plus chicanière et indubitablement plus procédurière dans son approche.

Le phénomène d’autorégulation du comportement va se doubler d’un réflexe de vigilance auto défensive dans la négociation.  Car si les principes jurisprudentiels planaient déjà sur la négociation, ce que la loi supprime définitivement, c’est le doute du possible revirement, inhérent au jeu répétitif de la jurisprudence constante. Dans cette répétition peut se nicher le cas qui viendra briser la routine de la règle pour le négociateur, et lui donner raison sur son interlocuteur, parce qu’il « a un bon dossier ». Ainsi, la consécration législative de la négociation opérera-t-elle  une formalisation écrite du dit et du non-dit pour ne laisser aucun doute sur les traînées juridiques des discussions. A l’inflation de la règle de droit s’ajoutera, une inflation de l’écrit précontractuel pour ménager la preuve des droits durant la négociation. Or la facilité d’utilisation et de production de l’écrit électronique va donner lieu à une surabondance des pièces. Cette surabondance pourrait être préjudiciable lorsqu’il s’agira de les utiliser pour en tirer une vérité (à tout le moins) juridique. Elle pourrait confiner à une appréciation de la situation, sur le jeu de la seule évidence à partir de la maxime « res ipsa loquitur » (les faits parlent d’eux-mêmes) et ainsi conduire à une incertitude juridique.  A la mise en danger de la négociation de l’affaire et de l’objet du contrat s’ajoutera, pour le négociateur, un risque de droit. Ainsi, à l’inverse des propos du doyen Carbonnier, il est désormais sûr que « le plaisir de contracter ne se passera plus d’être un plaisir de droit».

L’esprit du contrat s’éloigne un peu plus…, l’écrit, certes, revient… mais sa lettre s’affirme dans un droit qui s’émousse.

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